Il est particulièrement intéressant d'examiner le détail de ces actes administratifs avant de se faire une opinion sur l'évolution de ce dossier.
Les difficultés de M. Tavares relatées dans l'article "Les Halles du Raincy : un beau gâchis pour un départ en retraite" commencent avec la préemption (1) de son bail commercial par la Ville du Raincy, au moment où il allait le vendre à un autre commerçant.
- Une délibération du 5 septembre 2007 instaurant un "périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité",
Voir le texte de la délibération en pdf.
Cette disposition est récente puisqu'elle a été créée par une loi du 2 août 2005, qui a modifié les articles L2122-22 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) et L214-1 du Code de l'Urbanisme.
Dans le texte de la délibération, on constate que la définition du périmètre se borne à énumérer les voies du Raincy où sont implantés des commerces ou des artisans !
L'argumentation justifiant de l'utilité de ce périmètre est particulièrement succinte.
Cette délibération a été contestée par le Préfet, qui a demandé "d'argumenter et d'analyser la situation du commerce et de l'artisanat à l'intérieur du périmètre instauré par la ville et d'évoquer les menaces pesant sur la diversité commerciale et artisanale", c'est pour cette raison que la délibération a été revotée le 26 mai 2008 (3).
Cette insuffisance d'argumentation fait planer un doute sur la validité de la première délibération et en conséquence un doute sur la validité de cette préemption...
Nota : La délibération du 26 mai 2008, citée également dans la réponse d'Eric Raoult, est sans influence sur cette préemption puisqu'elle lui est postérieure. - Une délibération du 7 avril 2008 qui a donné à Eric Raoult, Maire du Raincy, la délégation pour exercer le droit de préemption au nom de la Ville.
Par cette délibération, Eric Raoult, a reçu du Conseil municipal la délégation pour "exercer au nom de la Ville et dans les conditions fixées par le Conseil Municipal le droit de préemption défini par l'Article L214-1 du Code de l'Urbanisme", cette délibération précisait aussi "que le Conseil Municipal sera tenu informé des décisions prises dans le cadre de la délégation, dans les conditions prévues à l'Article L2122.23 du Code Général des Collectivités Territoriales"(2)
. - La préemption du 9 mai 2008
Raincynono n'a pas eu communication de l'acte administratif précisant les termes de la préemption.
Par contre, le compte-rendu du Conseil municipal du 21 décembre 2008 indique que la Ville avait décidé de préempter pour deux raisons :- La première d'ordre social : l'immeuble dans lequel se situe ce commerce est une propriété dégradée et vétuste. Or, une des actions de la Municipalité en faveur de la diversité de l'habitat est de rechercher à acquérir des bâtis anciens afin d'y favoriser la réalisation d'opérations mixtes comprenant des logements aidés.
- La seconde est urbaine : laisser s'installer un nouveau commerce sur cet immeuble équivalait à contribuer à la dégradation de l'immeuble alors qu'une opération globale avec la parcelle mitoyenne, vide de tous bâtis est envisageable. Laisser faire, c'était donc laisser se dégrader un bâtiment et un secteur dont les mutations sont envisageables. C'est d'ailleurs dans cette logique qu'un périmètre d'études a été pris sur ce secteur.
Les motifs invoqués pour justifier cette préemption paraissent valables, ils ont pour seul inconvénient de ne pas être conformes à l'objet de la loi qui encadre les préemptions de baux commerciaux.
Ces motifs n'ont pas grand chose à voir avec la préservation de la diversité commerciale et artisanale !
Au contraire, ils y seraient plutôt opposés puisque l'objectif immédiat était d'empêcher un commerce de se réinstaller !
Visiblement, le Maire n'a pas choisi les bons outils réglementaires parmi ceux dont il peut disposer.
S'agissant de bâtiments vétustes : il a des pouvoirs qui se traduisent par exemple par la possibilité d'émettre des Arrêtés de Péril. Le cas de la nécessité de la démolition d'un bâtiment est prévu dans les textes qui régissent les rapports entre locataires et propriétaires de locaux commerciaux, etc.
Par ailleurs, si effectivement la Ville avait maintenu sa préemption, la Loi l'aurait obligée à céder le bail à un nouveau commerçant dans un délai de moins d'un an.
Il est peu probable que dans un délai aussi court l'immeuble ait pu être démoli et reconstruit !
Si ce sont effectivement les arguments mis en avant pour préempter le bail commercial, ce que tendrait à confirmer le texte du "droit de réponse" d'Eric Raoult, il n'est pas surprenant que la préemption ait pu être sérieusement contestée.
On a vu qu'ensuite, pour faire cesser la procédure lancée par le propriétaires des murs du commerce, la Ville a renoncé à la préemption et qu'une transaction a été entamée avec l'intervention d'une médiatrice judiciaire.
Cette transaction a abouti au protocole d'accord du 31 octobre 2009, signé des trois parties prenantes :
- la Ville du Raincy,
- M. Tavares
- la SCI propriétaire des murs
Encore aurait-il fallu qu'à la date du protocole, le Maire dispose du pouvoir pour prendre des engagements au nom de la Ville.
Ce pouvoir ne lui a été accordé que par le vote d'une délibération du Conseil municipal du 21 décembre 2009 !
Voir le texte de la délibération en pdf.
Le texte de cette délibération précise "qu'un accord a été trouvé entre les trois parties", Monsieur le Maire est autorisé "à signer toute convention, protocole ...", curieusement, il n'est pas précisé que le protocole est déjà signé et que la Ville s'y est engagée à acheter le bail avant le 30 novembre 2009...
Dans ces conditions quelle est la validité du protocole ?
A voir la manière dont ce dossier a été géré à ses différentes phases, faut-il être surpris qu'il débouche sur un contentieux ?
Cet article ne porte que sur le volet préemption/acquisition du bail commercial.
Comme rappelé par Eric Raoult dans sa réponse, l'immeuble où sont situées les Halles du Raincy est inscrit dans un Périmètre d'Etudes.
L'examen des conditions dans lesquelles ce Périmètre d'Etudes a été instauré montrerait-il le même manque de rigueur ?
(1) La préemption est l'acte par lequel la Ville peut bloquer la vente d'un fonds ou d'un bail commercial et l'acheter elle-même. Dans le cas présent, en préemptant, la Ville devenait locataire du local commercial occupé par Les Halles du Raincy, à la place du commerçant prêt à acheter le bail à M. Tavares.
(2) Le Maire a effectivement informé de cette préemption les membres du Conseil municipal au début de la réunion suivante (le 26 mai 2008). Par contre, alors qu'il a décidé le retrait de cette préemption le 9 avril 2009, il n'en a informé le Conseil municipal que le 21 décembre 2009.
Ceci constituerait-il un motif suffisant pour que le Conseil municipal retire au Maire cette délégation ?
(3) Délibération du Conseil municipal du 26 mai 2008. Voir le texte de la délibération en pdf.
Cette seconde délibération donne quelques arguments complémentaires mais justifie à peine plus l'emprise du périmètre choisi.
Elle ne tient aucun compte du Décret d'application de la Loi publié le 28 décembre 2007 qui stipule : "Le maire soumet pour avis le projet de délibération du conseil municipal à la chambre de commerce et d'industrie et à la chambre des métiers et de l'artisanat dans le ressort desquelles se trouve la commune.
Le projet de délibération est accompagné du projet de plan délimitant le périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité et d'un rapport analysant la situation du commerce et de l'artisanat de proximité à l'intérieur de ce périmètre et les menaces pesant sur la diversité commerciale et artisanale", d'après le texte de la délibération, il apparait que cette consultation préalable au vote n'a pas été effectuée, elle ne mentionne pas non plus l'existence d'un rapport analysant la situation du commerce dans le périmètre.
C'est à se demander s'il ne faudrait pas que le Conseil vote cette délibération une troisième fois pour la rendre juridiquement incontestable !